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Enfant et smartphone : une histoire d’amour nuisible

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L’amour qui lie les enfants aux smartphones est inqualifiable. Cet outil, bien que nécessaire de nos jours, est en train de jouer un mauvais tour aux parents. En donnant systématiquement leur smartphone à leurs rejetons pour les calmer lorsqu’ils pleurent, les parents finissent par créer une dépendance.

Par Cheikh Ndiaye

Le téléphone a un goût stimulant ! Même les enfants ne peuvent pas y résister. Assise sur le fauteuil, les jambes légèrement fléchies, Fatima manie avec dextérité le téléphone qu’elle tient entre les mains. Mais ce qui est fascinant, c’est qu’elle peut rester dans cette posture des heures durant, sans brocher. La seule chose qu’elle s’autorise à faire, c’est de changer de position, de temps en temps, afin de mieux se connecter avec « ses amies » : les dessins animés.

À travers son minois, on peut déduire le plaisir que la môme éprouve en regardant ces dessins animés ou vidéos qui, très souvent, peuvent même ne pas être adaptés à des enfants de son âge. Peu à peu, elle commence à y prendre goût. Elle est dans son monde. Souvent, elle rigole, grimace ou fait des mimiques en sursautant sur le fauteuil peint de couleur marron. C’est comme si elle voulait se fondre parmi ces personnages qui défilent devant elle.

Les dessins animés, « ses amies »

Ses yeux sont absorbés par la luminosité de l’écran et la quantité de lumière qui frappe ses petits yeux ne semble pas l’importuner. Elle est tellement concentrée que, souvent, quand maman l’appelle, elle ne répond pas. Elle fait la sourde oreille. « Son combat », comme on dit, est de profiter de ce moment avant que sa mère ne lui arrache le téléphone.

Âgée, seulement, de trois ans, Fatima connaît déjà les rouages de cet outil digital, du moins ce qui l’intéresse : les dessins animés. Elle en raffole. Quand elle a les yeux rivés sur « ce stimulant », la petite ne veut rien entendre. Et ce n’est pas tout ! Car pour ne rien arranger, elle a une autre stratégie, très simple. Lorsque le portable sonne, elle n’en a rien à cirer. Elle raccroche tout simplement ou, mieux, elle glisse son doigt vers le haut de l’écran afin de masquer l’appel.

Un enfant avec un léger sourire en train de regarder l’écran.  © Freepik

Cela fait à peu près un tour d’horloge que la petite suit ses dessins animés préférés : Miraculous et Ladybug. Mais ce qu’elle ne sait pas encore, c’est que sa maman s’apprête à reprendre son téléphone. En entendant les pas de sa mère, elle commence à pousser des cris tout en essayant de cacher le téléphone. D’ailleurs, c’est le moment le plus difficile pour Adja Ndiaye, sa maman.

« J’ai besoin de passer un appel, viens me donner le téléphone après, je te remettrais après », lui demande-t-elle, sans conviction. Elle sait qu’elle ne va pas accepter et sans un mot, elle lui arrache le portable et, illico, lui tourne le dos sans la regarder. La petite la suit en pleurant à tue-tête, espérant l’embrouiller et récupérer le téléphone à nouveau. Peine perdue ! « Que tu lui demandes gentiment ou lui ôte le téléphone, c’est pareil ! Elle va pleurer », s’empresse-t-elle de dire.

« À vrai dire, je n’ai pas le choix. »

Dans une certaine mesure, son addiction au smartphone fait l’affaire de Adja. Tant que Fatima ne fait pas de bruits ou ne pleure pas, mieux c’est bon. « À vrai dire, je n’ai pas le choix. Je lui donne mon téléphone malgré moi. C’est le seul remède dont je dispose pour la calmer quand elle pleure », se justifie-t-elle, tout en se dirigeant vers la cuisine.

Selon Dr. Moustapha Ndiaye, enseignant-chercheur en sociologie à l’Université Numérique Cheikh Hamidou Kane, cela est dû au fait que très souvent, les parents n’ont pas assez de techniques pour bien gérer les pleurs de leurs enfants. Ce qui fait que lorsqu’ils se rendent compte qu’en donnant le téléphone, l’enfant se calme aussitôt, ils pensent que cela constitue un palliatif. Et le fait également de voir leur enfant tranquille, assis et concentré sur quelque chose les rassurent. C’est ainsi que l’addiction se crée. « Sans écran, c’est comme s’il y a une partie de leur environnement qui leur a été ôtée », ajoute-t-il.

L’idée de donner le téléphone à son enfant pour le calmer n’est toutefois pas sans conséquence, car c’est là que le revers de la médaille intervient : les enfants finissent par devenir addicts et ne peuvent plus se passer des écrans. « Le problème est que beaucoup de parents ne sont pas assez outillés face à l’arrivée de ces écrans. En donnant le téléphone à leurs enfants, ils pensent bien faire, ce qui n’est pas le cas », explique le sociologue.

Pr Idrissa Ba, psychiatre et addictologie à l’hôpital Fann de Dakar.  © Cheikh Ndiaye pour Wadr

L’autre aspect qu’il faut prendre en compte, dit-il, est que nous vivons aujourd’hui dans une société où le digital et les écrans se sont incrustés dans notre quotidien. Et ces outils digitaux ont même, à la limite, segmenté l’espace familial où chacun est dans son coin avec son petit écran. Il estime que cette utilisation doit être organisée de telle sorte que l’écran ne prenne pas le dessus sur la vie sociale de l’enfant.

Parce que quand tout se résume aux écrans, c’est-à-dire la socialisation, l’interaction, et l’apprentissage, la vie de l’enfant est réduite à ce qu’il a entre les mains. Résultat : l’enfant peut avoir du mal à se développer socialement. En effet, au-delà des problèmes que rencontre l’enfant sur sa socialisation, cette addiction a d’autres conséquences bien plus néfastes. Ces enfants ont souvent des difficultés à s’exprimer, autrement dit, ils tardent à parler.

D’ailleurs, c’est le cas de Fatima, qui très tôt, bafouillait des mots que sa mère pouvait déchiffrer. Mais depuis qu’elle a commencé à passer du temps devant les écrans, elle ne progresse plus, reconnaît Adja qui par ailleurs n’a jamais fait le lien. Alors qu’il existe bel et bien un rapport de cause à effet, d’après le neurophysiologiste Lamine Guèye.

 Troubles du langage 

Cette addiction, affirme-t-il, a des conséquences sur le neuro-développement, comme par exemple le retard de langage dû au fait que l’enfant est déconnecté de la réalité. Il est dans le virtuel.  « Le langage en famille est très riche, mais si l’enfant n’est pas en interaction avec son environnement, autrement dit si son temps d’échange avec la famille démunie, évidemment certaines subtilités du langage ne vont pas s’installer dans son cerveau », explique le neurophysiologiste.

« La stimulation chez les enfants est très importante. C’est ce qui permet au cerveau humain de se développer en bonne harmonie. Cependant, si l’enfant n’est pas stimulé, il y aura un déficit d’interconnexion et l’enfant ne pourra pas faire des acquisitions. En clair, l’addiction des enfants aux écrans a un impact sur leur développement cérébral, psychomoteur, affectif et psychosocial. C’est surtout cela le danger des écrans », ajoute le professeur Idrissa Ba, psychiatre et addictologie à l’hôpital Fann de Dakar.

Il estime qu’un enfant de trois ans n’a pas besoin d’écran, mais plutôt d’interagir avec le monde humain. Il a surtout besoin d’être touché. Cette présence affective et psychique permettra aux enfants d’être rassurés quant à leurs compétences et à l’amour que leur porte leur entourage, en leur montrant qu’ils sont importants et qu’ils font pleinement partie de la famille. Cela les aidera à développer leur estime de soi.

Un père tenant un smartphone en compagnie de son enfant. © Freepik

Outre le fait que la dépendance aux écrans freine le développement psychosocial de l’enfant, elle entraîne également un manque de concentration et de sommeil. Ces troubles de l’attention et de sommeil, peuvent induire à une hyperactivité, c’est-à-dire l’enfant s’agite parce qu’il n’est plus devant l’écran. Et la nuit, il dort tard, alors qu’un enfant doit se coucher tôt. En effet, le développement du cerveau d’un enfant entre 1 et 7 ans est une période cruciale pour ses capacités cognitives car cela lui permettra de reconnaître tout ce qui se passe dans son environnement et de s’interconnecter avec celui-ci.

Pour le neurophysiologiste, Lamine Guèye, le problème de l’addiction des écrans est que le développement normal du cerveau qui devait induire par des interactions avec l’environnement de l’enfant est freiné.En plus la capacité d’attention de cette enfant vis-à-vis des êtres humains qui l’entourent diminue parce que l’enfant n’est pas attentif à son milieu. Cette surexposition le fatigue et l’use. Ce qui fait qu’il ne peut plus faire attention à ses parents ni à ses frères et sœurs.

« L’enfant qui est accro à l’écran dort épuisement devant l’écran. Au lieu de s’endormir dans les bras de son père ou sa mère, il s’endort avec des images virtuelles. Ce qui peut entraîner des cauchemars et traumatiser le cerveau », fait-il savoir. Et ce n’est pas tout car il y a un risque d’obésité. « Quand on est toujours devant un écran, on ne bouge pas. Au-delà du cerveau, le corps même souffre, parce que l’enfant est tout le temps concentré sur l’écran or un enfant doit bouger ».

Qu’est-ce qu’il faut faire pour sauver ce qui peut l’être ?

Cependant, dire que l’addiction des enfants au smartphone a des conséquences sur le neuro-développement semble être une lapalissade. Qu’est-ce qu’il faut faire pour sauver ce qui peut l’être ? En France par exemple, le président Emmanuel Macron avait ordonné en janvier 2024 un rapport dont l’objectif était de cerner les dangers des écrans sur la jeunesse.

À l’issue des travaux, la commission a préconisé de ne pas exposer les enfants de moins de trois ans aux écrans. Elle a invité à interdire les téléphones portables avant onze ans, et elle a recommandé également de ne pas connecter l’objet à Internet avant treize ans…. Et que font nos Etats pour trouver des solutions ? Pour le moment, il n’y a pas d’initiatives.

C’est ce que déplore le sociologue Moustapha Ndiaye, qui estime que dans beaucoup de domaines, malheureusement, nos États ne font que subir et ne prennent pas les devants. Dans certains pays comme la Russie, la Chine ou le Japon, TikTok est réglementé. Autrement dit, il est impossible d’avoir accès à tous les contenus de cette application.

Mais au Sénégal, les enfants ont accès à tout, souvent à des contenus qui ne sont pas adaptés. Il urge donc de créer des systèmes afin de réguler tout cela, car avec les smartphones, les enfants peuvent beaucoup apprendre.

Rédigé par Cheikh Ndiaye

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Enfant et smartphone : une histoire d’amour nuisible

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