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Opinion : Le choix de l’Afrique n’a jamais été la France

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Depuis des siècles, les relations entre la France et l’Afrique ont connu des épisodes. Komi Abalo, doctorant en cotutelle entre la France et le Canada estime que le multilatéralisme est en crise et qu’un nouvel ordre mondial émerge. En ce qui concerne l’Afrique, il avance que le cas du Mali en est une parfaite illustration et un cas d’école pour la France… Dans cet article, il relève que « les choses ont changé, les mentalités ont évolué, le monde n’est plus unilatéral ».
Lecture !  

Le mouvement des non-alignés dans les années 50 a été l’élément déclencheur du processus de décolonisation d’un grand nombre de pays d’Afrique et d’Asie. Ce mouvement a été mené par certains pays qui déjà émancipés tels que l’Inde et l’Indochine. Ces pays étaient regroupés autour de ce qu’ils ont appelé le non-alignement, c’est-à-dire qu’ils ne s’alignent ni avec ni contre les grandes puissances mondiales (USA et URSS). Le rôle joué par ces pays dans les années 1950 fut leur neutralité dans la guerre froide qui opposait les Américains aux Soviétiques. Ce mouvement depuis la fin de la guerre froide avait décliné les pourcentages et les cartes avaient été redistribuées largement jusqu’aux années 2000. En 2012, le mouvement compte 120 États membres avant la crise ukrainienne. Avec cette crise en Ukraine, ce mouvement a repris en force avec quelques couleurs et spécialement en Afrique où on assiste au choix des blocs aux Nations unies par les pays africains. Nous pouvons comprendre que le multilatéralisme est en crise, un nouvel ordre mondial émerge, le cas du Mali en est une parfaite illustration et un cas d’école pour la France. Devons nous comprendre aujourd’hui que la France paie le prix de son incohérence et son incapacité à comprendre l’évolution des choix en Afrique ?

Le paternalisme français au XXIème siècle en Afrique : manque d’élégance ?

Un adage africain nous rappelle que « lorsque le lièvre change ses pas de course, l’on change aussi de massue ». Ayant incarnée pendant longtemps la posture de celui qui décide de la politique de vie et économique des peuples colonisés, la France reste la seule entité impérialiste qui développe une politique peu immuable. Elle ne veut pas ou a du mal à changer sa forme de collaboration. Ce paternalisme fait des uns des maîtres et des autres des sujets. D’aucuns pensent aujourd’hui qu’il est temps que la France réactualise son logiciel si nous analysons de prêt, la crise malienne et burkinabè en Afrique qui en est une parfaite illustration. Il est bien vrai que depuis la colonisation, chaque pays colonisateur avait une main mise sur sa zone d’influence. Mais aujourd’hui les choses ont changé, les mentalités ont évolué, le monde n’est plus unilatéral. Pourquoi les Chinois, Russes et les Québécois, pour ne citer que ceux-là, n’ont pas de problème avec les pays africains, même s’ils exploitent les ressources des sous-sols africains ? Il est bien vrai qu’ils ne sont pas des donneurs de leçon. Que le pays soit démocratique ou pas, l’ingérence dans les affaires intérieures n’est pas la tasse de thé de ces partenaires, comme le font, au gré de leurs intérêts les descendants gaulois.

Au même moment, on remarque dans la pratique une politique deux poids deux mesures. Comment peut-on prétendre être donneur de leçon de démocratie en Afrique et au même moment qu’on est ami avec les pays du Golf qui foulent allègrement aux pieds les principes démocratiques défendus sous d’autres cieux ? Point n’est besoin d’être diplômé des grandes écoles géopolitiques pour comprendre cet état de chose : tant qu’on peut avoir accès au pétrole, le reste “on s’en gnagnit[1]” comme le disent les Ivoiriens tout est correct. La France n’est plus crédible si l’on s’en tient au sens même de la démocratie qu’elle prône. L’incohérence de sa politique étrangère et des valeurs de morales qu’elle prétend donner sur les droits de l’homme rappelle à tout égard l’anecdote de l’injustifiable qui se fait justifier. La France qui se fait donneur de leçon est très contradictoire par ses actes, car elle a, sur son territoire, une phobie contre l’Islam radical, mais n’éprouve aucune gêne à aduler l’Islam radical d’Arabie Saoudite où elle a ses intérêts. Aussi, le voile est critiqué en France mais accueilli sur tapis rouge à l’Élysée pour des contrats.

 À quand la fin de la traversée du désert par les pays africains ?

L’ennemi de la vérité n’est pas seulement la propagande mensongère des médias occidentaux, ce sont aussi les opinions des peuples souverains que les dirigeants africains ont décidé d’écouter plutôt que de satisfaire les intérêts des Occidentaux. La relation France Afrique est très compliquée, bref c’est un euphémisme. Les africains aujourd’hui ont un coefficient intellectuel largement au-dessus de la moyenne, contrairement à ce que peuvent penser les Occidentaux, pour reprendre les expressions du docteur Choguel Kokalla Maïga[2]. Pour remettre les choses en perspective, il faut reconnaître que la Mali, par son passé, n’a jamais été un bon élève pour Paris. Son premier président Modibo Keita avait affiché très tôt son aspiration à une indépendance à la fois politique et économique, au détriment de l’offre de Paris. Ainsi, « si Modibo Keita bénéficiait d’un grand prestige auprès de ses concitoyens, ce n’était donc pas seulement à cause de son charisme, ni des premiers succès des toutes premières années de l’indépendance : le régime intègre que fut le sien y a grandement contribué. C’est pourquoi tout chef qui gouvernera le Mali devra soutenir la comparaison avec le premier président sur ce chapitre de l’honnêteté, car même si les dernières générations n’ont pas vécu les années 60, de telles vérités sont fixées dans la mémoire collective et transmises de génération en génération[3] ».

La France aussi a besoin à un moment d’être décolonisé pour des raisons diverses. Le président Macron a eu tort de s’en prendre au Mali et au Burkina Faso car n’a pas eu l’idée de la force de ces vaillants peuples. Les psychologues disent qu’on est totalement guéri d’une thérapie que lorsqu’on ne demande plus rien à son bourreau et on peut s’en rendre compte à quel point le Mali et le Burkina Faso sont totalement affranchis du néocolonialisme français. Aujourd’hui, la plupart des gens confondent ouverture d’esprit et abandon des valeurs. Macron dit « c’est avec beaucoup d’humilité que je vous dis », mais en même temps son but est d’essayer de moraliser le peuple africain selon sa façon de penser à l’occidentale. Il a cru à son humanité en bafouant celles des autres, notamment des peuples africains. Sans vouloir abuser de la métaphore, ça ne rassure pas même si les pays Africains essayent de renouer avec la France.

Le départ de l’armée française du Mali et du Burkina a permis à ces deux pays de mener de mieux en mieux, avec de résultats probants, leur politique militaire contre le terrorisme. Il est plus facile aux Occidentaux et à la France de censurer les médias qui n’épousent pas leurs visions propagandistes, tels ceux d’un État sérieux comme la Russie, mais ouvrent leurs antennes aux terroristes opérant dans le Sahel. En effet, France 24 fait la promotion de ce mouvement terroriste (aqmi) dans le Sahel en accordant une interview à son chef ; ce qui remet en cause la compétence et l’incapacité de l’armée française dans la lutte contre le terrorisme. Les dirigeants français tirent à boulet rouge sur les leaders des luttes panafricanistes tels que Kémi Séba, Nathalie Yam et Franklin Nyamsi, en même temps ils ont consacré une exclusivité à l’émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abou Obeida Youssef al-Annabi. Voilà les valeurs qu’enseigne la France.

Tout le monde donne raison au ministre de la défense russe quand il déclare “les journalistes français, américains et autres savent où se trouvent les terroristes et vont faire des interviews, alors que leurs militaires ne le savent pas“. Comment réagirait la France si un criminel recherché et poursuivi en France pour avoir semer la terreur va donner des interviews dans un média africain qui est diffusé en France ? Faisons un peu la part des choses quand on parle de l’impérialisme français, cela implique la politique française en Afrique qui ne concerne pas nécessairement les Français. D’ailleurs la population française aussi souffre aujourd’hui comme certains pays africains. Le peuple français n’a aucun intérêt que la France occupe militairement le Mali ou le Burkina pour faire régner l’ordre par exemple. Il y a des liens coloniaux qui doivent disparaître car ce n’est pas normal qu’une armée qui a été en avant-garde de la colonisation continue de résider sur le sol africain, ce qui n’est pas le cas dans les pays anglophones d’Afrique.

La France est un pays qui prône la démocratie mais qui n’accepte pas les débats contradictoires. À l’instar des sanctions contre la Russie, vous ne pouvez pas fermer les journaux Russes en France pour cause de propagande en faveur de la Russie et vous plaindre de la fermeture des médias français au Mali et au Burkina Faso pour la même cause au profit de la France. La présence de l’armée française en Afrique à ce siècle de la mondialisation, c’est aussi la plus grande des corruptions mondiales. S’ils veulent condamner Poutine pour un problème d’acculturation, qu’ils commencent en Afrique où ils ont imposé leur langue, leur religion et leur idéologie au détriment des valeurs endogènes africaines qui peinent à retrouver leurs lettres de noblesse. Le combat de Nathalie Yamb[4] pour la souveraineté de l’Afrique est mal perçu par l’élite occidentale qui utilise les services secrets français et américains comme éléments de dissuasion.

Aujourd’hui, Franklin Nyamsi[5], pourtant citoyen français, mais d’origine camerounaise, est persécuté en France pour sa critique de la politique africaine de la France de Macron. Il passa 4 heures en garde vue sur le sol français le 12 avril dernier. Au nom de la démocratie française, on ordonne la fermeture de ses trois comptes en banque (BNP Paris Bas, Société Générale, CIC) sans aucune raison valable. La réponse des gestionnaires de ses comptes laisse perplexe : « nous avons reçu l’ordre de fermer vos comptes » ; ceci est en contradiction flagrante de la loi française qui dit que tout citoyen français a droit à un compte bancaire. La banque de France en retour après entretien sur rendez-vous avec monsieur Franklin confirme qu’il n’a commis aucune faute palpable et que son nom n’est affiché nulle part dans leur institution. En retour, la banque de France donne une note qui lui permettra de droit d’ouvrir n’importe quel compte en France sous refus des banques en France.

Les Occidentaux pensent étouffer le réveil des peuples en général qui aspirent à une vraie démocratie à travers le monde. Cette contradiction permanente les met à nu devant leur propre image et histoire. Cela sous-entend que la France n’est pas encore sortie de l’âge sombre des empires coloniaux. Aujourd’hui, il suffit d’avoir une idée contraire à l’idéologie occidentale pour qu’on vous accuse d’extrémiste. On vit dans un monde où certains peuples se sont proclamés élus sans que personne n’ait voté pour eux.

Et si le problème était la France ?

 L’ordre mondial a mené une guerre farouche contre les pays non-alignés alors qu’ils sortaient de leurs luttes contre le colonialisme et c’est la Russie qui a aidé les pays africains dans cette crise. Maintenant, l’Occident par l’entremise de Macron demande aux Africains de lutter contre Wagner (donc la Russie). La Russie a été anti-colonisatrice. Cette posture reste déterminante dans les rapports entre l’Afrique et la Russie. La Russie ne fait pas autre chose que de se mettre du côté des forces progressistes qui luttent contre les différentes formes du néocolonialisme. La France est dans un sommeil profond et le réveil lui sera brutal car la nouvelle génération des Africains ont compris la supercherie du jeu des occidentaux ; les pays comme la France ont toujours utilisé les Africains comme bouclier pour ensuite modifier l’histoire après le succès. Depuis Charles De Gaulle à Macron, en passant par Hollande, l’État français ne cesse de multiplier les impairs en Afrique sans prendre réellement conscience de leurs conséquences. Les troupes Wagner sont au Mali parce que la France, bien que 7ème puissance mondiale, avec tous ses moyens militaires, n’a pas pu vaincre les terroristes qu’elle a elle-même généré et armé à travers la destruction de la Libye. C’est un peu inadmissible quand les experts sur les plateaux télés en Occident sont incapables de situer la responsabilité de l’OTAN et de la France en particulier dans la présence des groupes terroristes au Sahel. Aujourd’hui, la France et ses alliés ne peuvent plus donner des leçons de démocratie à quiconque car, ils sont devenus de moins en moins crédibles aux yeux du reste du monde.

Pour mieux comprendre la politique française : en 2004 neuf (9) soldats français sont tués en Côte d’Ivoire lors des troubles socio-politiques que la France a instigué et elle a débarqué tout une flotte de guerre sans enquête jusqu’à ce jour avec des milliers de morts. Au Mali, 59 soldats français sont tués par les rebelles qui sont nez à nez des bases militaires français ; aucune riposte de la France. On peut combattre Poutine en Ukraine mais impossible de vaincre les terroristes au Mali. Il est bien vrai que la France est attachée à l’Afrique pour des raisons historiques, mais cette histoire est remplie de larmes, de sang et de trahison pour bon nombre qui connaissent la réalité géopolitique de l’Afrique. Aujourd’hui, les reconquêtes des territoires du Mali et du Burkina sont très spectaculaires, alors que les deux pays ont dénoncé l’accord militaire qui les liait à la France qui n’a visiblement engrangé aucun résultat probant depuis 2013. Un esprit avisé se demanderait si ce n’est pas elle-même qui alimente ce terrorisme. En matière de lutte contre le terrorisme en Afrique, la France n’a comblé aucun vide, et son départ du Mali et du Burkina n’a non plus laissé un seul vide. Si elle sait qu’elle ne se reproche de rien, qu’elle ouvre le débat aux Nations unies pour répondre aux accusations du Mali. Le simple fait que l’armée française empêche l’armée malienne sur son propre territoire d’entrer à Kidal, considéré comme la base des djihadistes, culpabilise la France et traduit une fois encore les intérêts malsains de la France au Sahel. Par la suite, la violation de l’espace aérien malien à maintes reprises par la France sans autorisation ou parfois avec de fausse autorisation de voyage, met à nu ce qu’est réellement la France. Le président Macron, tout comme les futurs dirigeants français auront du mal à redresser la tendance qui amène les Africains à rejeter la politique de la France en Afrique, parce qu’aucun d’eux ne pourra se permettre d’endosser la responsabilité d’avoir fait perdre à la France, les avantages des acquis du néo-colonialisme.

Au terme de cette petite réflexion, il est indispensable de savoir que la France doit cesser de faire des leçons à géométrie variable sur le continent africain. Il est anormal d’aduler un coup d’État au Tchad et, dans les mêmes circonstances, mener une guerre contre les autorités militaires du Mali et du Burkina Faso qui sont pourtant applaudies et approuvées par leurs populations. On peut être ami avec Ali Bongo Ondimba du Gabon, fils d’ancien président et Paul Biya du Cameroun, aujourd’hui âgé de 90 ans et au pouvoir depuis plus de 40 ans, et prétendre donner des cours de démocratie aux pays qui luttent contre l’impérialisme occidental. La souveraineté ne consiste pas à remplacer un impérialiste par un autre ou d’ailleurs de les multiplier, mais de se donner les moyens d’une véritable indépendance. D’aucuns pensent que la France joue le rôle du pompier pyromane ; elle crée d’abord l’incendie puis revient ensuite se proposer en pompier. L’ignorance de l’histoire est une pathologie politique sinon comment comprendre que deux pays européens se font la guerre en Europe mais la solution de la paix se négocie en Amérique, Asie et en Afrique mais pas en Europe. Aujourd’hui, l’Europe et les États-Unis ne sont plus des partisans de démocratie et de liberté, ils sont devenus de véritables ennemis de la paix.

                               Komi ABALO, doctorant en cotutelle entre la France et le Canada

 

[1] C’est-à-dire on s’en fout.

[2] Actuel premier ministre du Mali

[3] Moussa Konate, (1990). Mali : ils ont assassiné l’espoir. Paris, L’Harmattan, p. 28.

[4] Nathalie est devenue une véritable célébrité après son discours enflammé de Sotchi des 23 et 24 octobre 2019 dénonçant l’impérialisme français en Afrique. Elle fut interdite de séjour en France après le discours.

[5] Professeur agrégé de philosophie, Docteur de l’Université Charles de Gaulle Lille 3.

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